Une étude novatrice sur les maladies auto-immunes et les métastases
Génétique
Entretien avec le Docteur Julie Sarrand
En tant que rhumatologue passionnée par les maladies auto-immunes, j'ai été particulièrement frappée par l'impact dévastateur de la sclérodermie systémique, une maladie rare qui affecte le collagène. Cette pathologie, qui peut survenir à tout âge, de 20 à 60 ans, a des conséquences dramatiques sur les patients, notamment lorsqu’elle touche des organes vitaux comme la peau, les poumons et le cœur. Bien qu'il existe des médicaments pour ralentir l'évolution de la maladie, aucune thérapie actuelle ne permet de renverser les processus de fibrose une fois que les organes sont endommagés. Ce mécanisme, où les cellules épithéliales se transforment en cellules mésothéliales sous l'effet d'une inflammation chronique, est au cœur de cette recherche.
Malheureusement, les patients sont souvent diagnostiqués trop tard, une fois que la fibrose s'est déjà installée, rendant les traitements plus complexes et moins efficaces. C’est pourquoi j’ai décidé de me concentrer sur la compréhension de ce phénomène afin d’identifier de nouveaux leviers thérapeutiques. En étudiant ce processus à travers des modèles expérimentaux, j’ai découvert qu'il n’était pas limité à la sclérodermie. Des pathologies comme le syndrome de Sjögren et la polyarthrite rhumatoïde présentent également ce phénomène de fibrose. C’est là que l'idée d’explorer ces mécanismes plus en profondeur a pris forme.
Il se trouve qu’un laboratoire en Belgique, dirigé par le Dr Cédric Blanpain, spécialisé dans les cellules souches et le cancer, menait des recherches similaires sur un phénomène appelé l'EMT (épithélio-mésenchymateuse transition). Dans le cadre du cancer, ce phénomène est responsable de la migration des cellules tumorales et de la formation de métastases. Nous avons alors décidé d’étudier ce phénomène dans les maladies auto-immunes en utilisant des modèles in vitro, afin d’explorer les mécanismes génétiques sous-jacents.
En gros, l’objectif de cette étude est de comprendre les facteurs de transcription et les régulations génétiques impliquées dans la transformation des cellules épithéliales en cellules mésenchymateuses. Pour ce faire, nous utilisons la technique CRISPR-Cas9 pour manipuler les gènes dans des cellules cancéreuses, dans le but d’identifier ceux qui favorisent cette transformation. L’objectif à long terme serait de trouver des cibles génétiques spécifiques que nous pourrions cibler avec des médicaments pour soit prévenir la fibrose, soit inverser le processus. Bien que ce soit un projet ambitieux et à long terme, les premiers résultats sont prometteurs, et plusieurs gènes candidats sont déjà en cours d’étude.
À court terme, le but est de confirmer ces gènes à travers des expérimentations sur des lignées cancéreuses et, à terme, sur des souris, avant de valider ces découvertes chez les patients. Ce processus peut prendre du temps et nécessite des ressources conséquentes, notamment pour le matériel biologique et les tests sur des animaux. À long terme, ces recherches pourraient non seulement améliorer notre compréhension des métastases, mais aussi offrir des solutions thérapeutiques pour des maladies auto-immunes dévastatrices, comme la sclérodermie systémique.
Cette maladie rare ne touche quelques patients par million mais il est crucial de pouvoir diagnostiquer les patients le plus tôt possible pour éviter la fibrose irréversible des organes. Dans notre centre, nous nous efforçons de sensibiliser la communauté médicale périphérique afin que ces patients nous soient référés le plus rapidement possible, garantissant ainsi des traitements précoces et plus efficaces.
Cette recherche fait partie d'un programme de plus grande envergure, mené par le Fonds Erasme, qui soutient des projets de recherche fondamentale mais aussi appliquée. Le soutien financier est essentiel, car ces études demandent des outils sophistiqués et des modèles expérimentaux coûteux. Ce financement permettra de poursuivre ces recherches et, espérons-le, de faire des avancées majeures pour les patients atteints de maladies auto-immunes.
Bien que nous soyons au début de ce processus, les résultats déjà obtenus sont encourageants. Cette étude pourrait à terme offrir des perspectives inédites dans le traitement des maladies auto-immunes et des métastases. Bien que le chemin soit encore long et semé d'embûches, il est prometteur, et nous espérons qu’il apportera un jour des solutions innovantes pour la prise en charge de ces patients souffrants.