Tout un programme de recherches pour accompagner les femmes
La fertilité au féminin
Entretien avec le Pr Anne Delbaere
« Une équipe pluridisciplinaire, des technologies de pointe et des perspectives innovantes pour accompagner les femmes face aux défis de l’infertilité, c’est ça qui nous intéresse », affirme le Pr Anne Delbaere, spécialiste en procréation médicalement assistée et Cheffe de Service de gynécologie à l’H.U.B - Erasme. Pour elle, le succès de ces travaux repose avant tout sur le travail d’équipe, articulé autour de plusieurs axes de recherche complémentaires qui font évoluer la compréhension et la prise en charge des pathologies féminines pouvant impacter la reproduction.
Une recherche génétique en pleine effervescence
L’un des axes majeurs concerne la recherche de nouveaux gènes ou combinaison de gènes responsables de pathologies rares de la reproduction. Notre service s’est intéressé plus particulièrement aux patientes présentant une insuffisance ovarienne prématurée (IOP), définie par la cessation de la fonction ovarienne avant l’âge de 40 ans, avec un impact direct sur la fertilité. Certaines causes de l’IOP sont iatrogènes comme des chirurgies ovariennes répétées ou l’exposition à des traitements gonadotoxiques comme la chimiothérapie, d’autres étiologies sont dues à des anomalies de nombre ou de structure des chromosomes (impliquant surtout les chromosomes sexuels) que l’on peut déceler lors d’un caryotype (examen des chromosomes) ou à des prémutations du gène FMR1, le gène dont la mutation complète est une cause de retard mental. Lorsque ces étiologies ont été exclues, l’IOP est considérée comme étant « idiopathique », c’est-à-dire d’étiologie indéterminée. « Nous avons développé, grâce aux outils du séquençage de nouvelle génération (NGS), des panels de gènes permettant d’identifier jusqu’à 8 % des causes génétiques jusque-là non détectées dans notre cohorte de plus de 150 patientes présentant une IOP idiopathique, explique Anne Delbaere. Si les patientes présentent un retard pubertaire associé, le diagnostic monte à 15%. Autrefois, notre travail revenait à rechercher une aiguille dans une botte de foin et cela prenait un temps fou ! »
Les travaux menés par le Dr Béatriz Alvaro Mercadal, qui avait terminé sa thèse il y a plusieurs années et par le Dr Asma Sassi, actuellement en phase finale de thèse, se concentrent sur l’insuffisance ovarienne prématurée d’origine génétique. L’identification de mutations monogéniques et l’exploration de gènes candidats – déjà suspectés dans d’autres espèces de mammifères – permettent d’ouvrir la voie à une meilleure compréhension de la physiologie du vieillissement ovarien et de l’optimisation des soins. La découverte d’une étiologie et de nouveaux gènes candidats permet de faire un dépistage familial et de proposer à d’autres femmes de la famille à risque d’IOP une préservation de la fertilité par vitrification ovocytaire (congélation ultra-rapide).
Depuis quelques années, en collaboration avec le service de génétique et sous l‘impulsion du Dr Sc Ozlem Ökutman qui a rejoint le laboratoire de procréation assistée, les panels de gènes se sont développés pour d’autres phénotypes de l’infertilité féminine comme par exemple les anomalies de maturation ovocytaire ou les défauts de développement embryonnaire précoce.
Sur le plan clinique, identifier les causes génétiques dans une famille permet d’envisager des solutions concrètes. « Pour une patiente atteinte d’IOP, les options de procréation ne se limitent pas à un recours au don d’ovocytes. Si des membres plus jeunes de la famille sont identifiés comme porteurs, nous pouvons proposer des préservations par vitrification des ovocytes, comme cela se fait déjà pour les prémutations du gène fragile X », précise Anne Delbaere.
Oncofertilité : un espoir retrouvé pour les jeunes patientes
Au-delà de la génétique, un autre volet majeur est celui de l’oncofertilité. Plusieurs travaux de thèse réalisés au sein du service dont ceux des Drs Ornit Goldrat et Margherita Condorelli se sont concentrés sur la fertilité des patientes atteintes d’un cancer du sein. Les recherches ont démontré qu’une grossesse post-cancer – même hormonosensible, comme le cancer du sein – n’augmente pas le risque de récidive ni la mortalité des jeunes femmes. Sous la direction du Pr Isabelle Demeestere, pionnière dans ce domaine, nos recherches visent à offrir à chaque jeune patiente et enfant les meilleures options afin de préserver leur fertilité et d’envisager une grossesse après un cancer malgré les traitements. « Grâce à ces travaux, avoir une grossesse après un cancer n’est plus une fatalité. Cela offre un énorme message d’espoir à nos patientes », affirme Anne Delbaere.
Ce succès repose sur une collaboration étroite entre les spécialistes en oncologie la clinique de fertilité, la clinique de gynécologie médico-chirurgicale et le Laboratoire de Recherche en Reproduction Humaine dirigé par la Pr Isabelle Demeestere. Celle-ci a un leadership dans le domaine au niveau international et a largement participé à des guidelines européennes pour la préservation de la fertilité.
Endométriose et préservation de la fertilité : vers un parcours de soins optimisé
L’équipe ne néglige pas l’étude des pathologies fréquentes et souvent sous-diagnostiquées telles que l’endométriose. Sous l’impulsion du Pr Maxime Fastrez qui a mis sur pied la Clinique Multidisciplinaire de l’endométriose à l’Erasme Medical Center, plus de 80 cas sévères d’endométriose opérés au robot font l’objet d’une revue dans le cadre du travail de thèse du Dr Ludovica Imperiale. Les projets à venir entre autres soutenus par le Dr Sc Necati Findikli, responsable du laboratoire de procréation médicalement assistée, ambitionnent d’évaluer le lien entre cette pathologie et la qualité ovocytaire, ce qui permettra d’optimiser la préservation de la fertilité chez les patientes atteintes de cette pathologie et qui le souhaitent.
Vers des solutions innovantes pour un planning familial inversé
L’approche ne se limite pas à la recherche fondamentale. Un consortium national impliquant l’Université de Louvain et d’autres institutions belges finalise actuellement un questionnaire qui sera prochainement distribué à près de 3 000 femmes sur la préservation de la fertilité face à l’infertilité liée à l’âge. Cette étude est dirigée par le Dr Catherine Houba, directrice de la Clinique de Fertilité de l’H.U.B, Hôpital Erasme. « Les évolutions sociétales nous poussent à retarder la maternité, alors que biologiquement, le pic de fertilité se situe aux alentours de 25 ans. Notre objectif est de sensibiliser et d’informer sur la fenêtre étroite qui s’offre à chaque femme pour fonder une famille », rappelle Anne Delbaere.
Innovations en fécondation in vitro
Enfin, dans le contexte d’une congélation de plus en plus fréquente de tous les embryons dans un parcours de fécondation in vitro, pour éviter notamment le syndrome d’hyperstimulation ovarienne ou dans le cadre d’un diagnostic génétique préimplantatoire, l’étude randomisée contrôlée menée par le Dr Soraya Amirgholami compare le transfert en cycle naturel à un protocole basé sur des critères spécifiques de la muqueuse utérine. « Si les résultats cliniques s’avèrent comparables cela pourrait simplifier l’organisation des soins et le confort des patientes », conclut Anne Delbaere.
Un avenir prometteur
Les recherches présentées par Anne Delbaere illustrent l’évolution rapide des technologies et des approches cliniques en matière de fertilité. Grâce à une démarche transnationale et pluridisciplinaire, l’équipe ouvre la voie à des solutions innovantes pour accompagner les femmes confrontées à l’infertilité, qu’elle soit d’origine génétique, oncologique ou liée à d’autres pathologies.
« Nous avons de quoi faire et l’enthousiasme est au rendez-vous, affirme-t-elle. Chaque avancée nous rapproche un peu plus d’un avenir où la préservation de la fertilité et le traitement des maladies rares endocriniennes seront véritablement au cœur d’un parcours de soins optimisé pour nos patientes. »