Offrir une nouvelle chance aux patients transplantés atteints de cancer : une recherche pionnière
Focus on
Chaque année, des milliers de patients bénéficient d’une greffe d’organe qui améliore considérablement leur qualité et leur espérance de vie. Pour éviter le rejet du greffon, ils doivent cependant prendre à vie des médicaments immunosuppresseurs. Or, cette immunosuppression chronique fragilise leur système immunitaire et les expose à un risque bien plus élevé de développer certains cancers, en particulier des cancers de la peau, parfois jusqu’à cent fois plus fréquents que dans la population générale. Et ces cancers sont souvent plus agressifs, avec davantage de métastases et une mortalité accrue.
C’est dans ce contexte que ma recherche a vu le jour. En 2019, alors que je débutais ma carrière, j’ai été confrontée à deux patients transplantés du rein atteints d’un cancer avancé. Ils étaient placés en soins palliatifs parce qu’il n’existait plus aucune option thérapeutique. C’était une période où l’on observait pourtant des résultats spectaculaires avec les nouveaux traitements d’immunothérapie – les inhibiteurs des points de contrôle – chez les patients non greffés. Ces médicaments ne détruisent pas directement les cellules tumorales comme le font la chimiothérapie ou la radiothérapie, mais réactivent le système immunitaire pour qu’il reconnaisse et combatte les cellules cancéreuses. Cette réactivation représente une promesse thérapeutique immense, mais elle pose un dilemme majeur chez les patients greffés : si l’on réveille leur immunité pour attaquer le cancer, on risque aussi de provoquer le rejet de l’organe greffé.
C’est de ce dilemme qu’est née notre hypothèse de recherche : et si l’on parvenait à comprendre ce rejet immunologique, à le prédire, voire à le contrôler ? Et si, au lieu d’exclure ces patients des études cliniques par principe de précaution, on leur donnait une chance d’accéder à ces traitements innovants ? Nous avons donc mis en place un registre et une biobanque pour suivre de manière prospective les patients transplantés du rein atteints de cancer et traités par inhibiteurs des points de contrôle. Nous analysons leurs échantillons biologiques – sang, urines, tissus tumoraux ou du greffon – pour mieux comprendre ce qui déclenche un rejet, et comment cela interagit avec la réponse au traitement.
Aujourd’hui, les résultats que nous observons sont porteurs d’espoir. Oui, il y a un risque de rejet dans environ 25 % des cas. Mais 50 % des patients répondent pleinement au traitement, avec une rémission complète du cancer, alors qu’ils étaient considérés comme en fin de parcours. Cela change profondément notre manière de voir les choses : il ne s’agit plus de choisir entre préserver l’organe ou traiter le cancer, mais de réfléchir à comment ajuster les traitements, anticiper les effets indésirables, accompagner les patients de façon plus fine et plus individualisée. Dans le cas d’une greffe rénale, le risque de rejet est plus "gérable", car le recours à la dialyse reste possible. Cela nous permet de commencer par cette population avant, peut-être un jour, d’envisager une extension aux greffes d’organes vitaux comme le cœur, les poumons ou le foie, où les marges de manœuvre sont plus réduites.
Cette recherche, que je mène en lien étroit avec le Centre de recherche en transplantation et immunologie (CR2TI) de Nantes, bénéficie du soutien précieux du Fonds Erasme. Il me permet de dégager du temps scientifique, d’accéder à des techniques de pointe, et de financer des déplacements essentiels dans le cadre de notre collaboration. Ce projet me tient profondément à cœur, car il ne s’agit pas seulement de science ou de médecine de pointe : il s’agit de justice thérapeutique. Il s’agit de ne pas laisser de côté des patients complexes au prétexte qu’ils ne rentrent pas dans les cases des grands essais cliniques. Il s’agit de leur redonner une chance, même quand tout semblait perdu.