Publié le 24.03.2025

Mieux entendre pour prévenir les maladies neurodégénératives ?

FOCUS ON

Le point avec le Pr Marc Vander Ghinst

Au milieu des années 2000, des équipes de chercheurs ont commencé à explorer le lien entre la perte auditive et la survenue de démences. Ils ont rapidement découvert une corrélation frappante : plus la perte auditive est importante, plus le risque de développer une maladie neurodégénérative, en particulier la maladie d'Alzheimer, augmente. Cette constatation a soulevé une question essentielle : pourrait-on diagnostiquer précocement ces maladies à partir de la perte auditive ?

Le défi réside dans la nature de cette corrélation. Si elle est statistiquement robuste, le mécanisme sous-jacent reste, lui, encore flou. Est-ce la perte auditive elle-même qui contribue au déclin cognitif, ou un facteur indirect, comme l'isolement social, qui en découle ? Pour répondre à cette interrogation, de nombreuses études ont été menées ces quinze dernières années. Elles ont permis d’identifier plusieurs facteurs de risque dits modifiables, tels que le diabète, les conditions socio-éducatives, la dépression ou encore la perte auditive. Parmi eux, la surdité s’est révélée être le facteur de risque le plus significatif pour le développement de la maladie d'Alzheimer.

Face à cette découverte, les chercheurs se sont demandé si l’appareillage auditif pouvait atténuer ce risque. Les résultats sont éloquents : les personnes appareillées retrouvent un niveau de risque équivalent à celui de la population sans perte auditive. En d'autres termes, traiter la surdité pourrait réduire, voire éliminer, le facteur de risque associé à la maladie d'Alzheimer.

Au-delà de l’audition : les difficultés de compréhension

Jusqu’à récemment, les protocoles de prise en charge des troubles auditifs se basaient sur un critère simple : une perte moyenne supérieure à 40 décibels sur les fréquences conversationnelles justifiait un appareillage. Toutefois, des recherches plus récentes ont mis en lumière un phénomène jusqu’alors négligé : certaines personnes perçoivent les sons sans difficulté mais rencontrent pourtant des troubles majeurs de compréhension, notamment dans un environnement bruyant. Ces cas sont désormais désignés sous le terme de surdité cachée.

Ces patients décrivent souvent une gêne marquée dans les situations sociales : en réunion, au restaurant ou lors de conversations de groupe, ils peinent à suivre les échanges et ressentent une fatigue auditive accrue. Pourtant, leurs audiogrammes ne révèlent aucune perte auditive significative. C’est en étudiant ces profils qu’on a découvert que la compréhension du langage ne dépend pas uniquement de l’audition pure, mais aussi d’un ensemble de mécanismes cognitifs et attentionnels complexes.

Un défi pour la recherche et la prise en charge

Aujourd’hui, la compréhension dans le bruit s’impose comme un enjeu majeur. Ce phénomène repose sur un processus cérébral sophistiqué : lorsque plusieurs voix se superposent, notre cerveau doit sélectionner l’une d’elles et ignorer les autres. Ce mécanisme, souvent automatique, devient plus difficile avec l’âge ou en cas de trouble auditif.

Certains groupes, comme les musiciens, développent une aptitude particulière à analyser plusieurs sources sonores simultanément, probablement grâce à une meilleure structuration des représentations auditives dans le cerveau. De la même manière, des études montrent que l’usage de repères visuels, comme la lecture labiale, peut compenser une perte auditive en mobilisant d’autres circuits neuronaux.

Ces observations ouvrent de nouvelles pistes pour l’amélioration des aides auditives. Si les prothèses actuelles amplifient les sons, elles peinent encore à différencier les bruits parasites du signal utile. Des recherches récentes explorent des solutions innovantes, comme l’intégration de stimuli vibratoires ou tactiles, qui pourraient renforcer la compréhension dans les environnements complexes.

Vers une meilleure prévention du déclin cognitif

L’enjeu dépasse la seule amélioration du confort auditif. En effet, les premières études épidémiologiques montrent que la correction précoce des troubles auditifs pourrait réduire significativement le risque de déclin cognitif. L'objectif actuel des chercheurs est donc d’identifier les meilleurs indicateurs de risque et de déterminer si la correction des troubles de compréhension – au-delà de la seule amplification sonore – peut avoir un impact aussi protecteur que l’appareillage auditif classique.

L’avenir de cette recherche s’oriente vers des tests plus précis permettant d’évaluer le risque individuel, en intégrant non seulement la perte auditive, mais aussi les capacités de compréhension dans le bruit et les stratégies de compensation cognitives.


Les études menées ces vingt dernières années ont permis d’établir un lien solide entre perte auditive et risque de maladies neurodégénératives, notamment Alzheimer. Si la compréhension du mécanisme exact reste encore partielle, il apparaît que la prise en charge de la perte auditive, et en particulier des difficultés de compréhension dans le bruit, pourrait jouer un rôle déterminant dans la prévention du déclin cognitif.

Ces avancées ouvrent des perspectives prometteuses, tant sur le plan médical que sur celui de l’amélioration des aides auditives. L’enjeu est désormais d’affiner les protocoles de dépistage et de prise en charge afin d’offrir aux patients une prévention efficace et personnalisée.