Publié le 05.06.2025

Malformations vasculaires cérébrales, changer le destin des enfants in utero

Première mondiale

Et puis, un jour, j'ai dit... STOP !   

Par le Pr Boris Lubicz

Depuis plus de 20 ans, je travaille et dirige le service de neuroradiologie interventionnelle de l’H.U.B–Erasme, l’un des très rares centres au monde capables de traiter des nouveau-nés atteints de malformations vasculaires cérébrales. C’est un champ d’excellence, mais aussi de souffrance. Car les résultats obtenus chez ces tout-petits sont sans commune mesure avec ceux observés chez des enfants plus âgés. Et cela, un jour, m’est devenu intolérable.

En effet, ces malformations se distinguent en deux grandes formes. La plus sévère détourne une telle quantité de sang que le cœur s’épuise à perfuser la malformation elle-même, jusqu’à la défaillance. Parfois, l’enfant meurt avant même d’avoir vu le jour. D’autres fois, c’est à la naissance que tout s’arrête. Et cela, malgré nos moyens, notre technicité, notre expérience. À l’opposé, les formes moins agressives permettent d’attendre que l’enfant atteigne 4 à 6 mois avant d’intervenir. Dans ces cas, les chances de survie sont proches de 100%, et le développement cérébral presque toujours normal. En revanche, pour les formes graves, la survie plafonne autour de 80 %, et à peine un enfant sur deux grandira avec des fonctions cognitives intactes. Ce n’est pas propre à notre centre : c’est une constante mondiale.

Mais comment l’accepter ? Répéter ces scénarios, jour après jour, revient à s’exposer à l’impuissance. Tenter une opération, et voir l’enfant mourir dans la nuit. Préparer une intervention, et constater que l’enfant est déjà trop faible pour supporter l’anesthésie. Accueillir des petits envoyés trop tard, après des semaines d’errance. À force, cela devient insupportable. Alors un jour, j’ai dit : stop. Pas à la prise en charge, mais à la résignation. Et j’ai commencé à rêver.

Rêver de changer l’histoire de ces enfants pour leur offrir un avenir : cela supposait de revenir à l’origine. Comprendre comment ces malformations se forment, pour imaginer comment les prévenir ou les atténuer. Il nous fallait un modèle expérimental fidèle, permettant de reproduire la pathologie dans ses deux expressions : la forme agressive et la forme plus modérée. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer un modèle animal, basé sur la plus redoutable de ces anomalies : la malformation anévrysmale de la veine de Galien.

Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans une alliance inédite. Une équipe transversale, réunissant des partenaires de l’ULB, de Charleroi, de Saint-Luc. En particulier, le Pr Nicolas Baeyens, spécialiste de physiologie vasculaire et le Pr Benoît Vanhollebeke, qui a développé un modèle chez le poisson-zèbre. Le Pr Miikka Vikkula, généticien de renommée internationale, expert des mutations impliquées dans ces malformations. Et surtout, un soutien financier décisif : des mécènes privés, la Fondation ULB et le Fonds Erasme.

En trois à quatre ans, nous avons mis au point le premier modèle animal stable de cette pathologie. Ce poisson-zèbre est devenu notre sentinelle. Grâce à lui, nous avons pu observer les mécanismes précoces de formation de ces malformations. Tout se joue très tôt, lors d’un défaut de fusion entre vaisseaux. Et en agissant sur ce processus, avec certains agents pharmacologiques, nous sommes parvenus à réduire significativement la gravité de la malformation — y compris dans ses formes les plus menaçantes. Autrement dit, nous avons peut-être ouvert une voie totalement nouvelle : celle d’un traitement médicamenteux précoce. Non pas pour remplacer la chirurgie endovasculaire, mais pour permettre à des enfants qui n’auraient eu aucune chance d’atteindre l’âge de l’intervention. Et dans le même temps, de préserver au mieux le développement du cerveau. Ce n’est pas seulement une avancée. C’est un changement de paradigme.

Et cette découverte pourrait aller bien au-delà. Car l’architecture de ces malformations — des connexions anormales entre artères et veines — est la même, qu’elles touchent le cerveau, les poumons, ou d’autres organes. Ce que nous avons mis au jour pourrait demain bénéficier à de nombreux patients, y compris adultes.
Il y a là une réparation symbolique. Car la recherche pédiatrique est souvent la grande oubliée. Ces maladies rares, complexes, peu rentables, effraient les financeurs. Pourtant, s’attaquer à elles, c’est s’attaquer à la racine. Si l’on parvient à soigner les plus fragiles, alors on peut soigner les autres.

Aujourd’hui déjà, nous recevons des enfants venus de l’étranger grâce à des conventions internationales. Certains arrivent trop faibles pour être endormis. D’autres meurent dans la nuit, malgré nos soins. Ces épreuves laissent une trace. Mais si un traitement permettait de stabiliser ces enfants dans leur pays, de leur faire gagner quelques semaines ou quelques mois, alors tout changerait.

Je crois profondément que cette avancée a un potentiel mondial. Elle ne fera pas disparaître les opérations, mais elle les rendra plus sûres. Et surtout, elle permettra d’offrir une chance là où il n’y en avait aucune. Alors je continue de rêver. Parce que rêver, ce n’est pas fuir. C’est construire. Et le jour où je ne rêverai plus, je ferai autre chose.