Publié le 17.10.2024

La recherche ouvre de nouvelles perspectives

Cancer du pancréas

Entretien avec le Dr Julie Navez

Le cancer du pancréas est l'une des formes les plus agressives de cancer, représentant actuellement la quatrième cause de mortalité par cancer dans le monde. Il est estimé qu'en 2030, il deviendra la deuxième cause de mortalité liée à cette maladie. Contrairement à d'autres types de cancer, pour lesquels la recherche a permis des avancées considérables en termes de traitements et de gestion, le cancer du pancréas reste particulièrement difficile à traiter. Sa nature extrêmement hétérogène complique les réponses thérapeutiques, car la tumeur ne réagit pas de manière uniforme aux traitements et développe une chimiorésistance. En effet, certaines parties de la tumeur peuvent continuer à croître malgré l'administration de chimiothérapies ou d'autres formes de traitement. Cette résistance tumorale justifie l'approche multimodale qui s'impose de plus en plus, combinant chimiothérapie, radiothérapie et parfois chirurgie. Au sein des avancées médicales actuelles, l'immunothérapie est en plein essor pour certains cancers, mais elle reste encore à ses balbutiements pour le cancer du pancréas.

La complexité de cette pathologie réside dans sa rapidité à se propager par les voies sanguines et lymphatiques, ce qui nécessite des traitements extrêmement ciblés. À l’Hôpital Erasme, par exemple, de nombreuses recherches sont en cours sur la radiothérapie stéréotaxique à hautes doses (iHD-SBRT), une technique prometteuse qui cible très précisément la tumeur. Cette technique, développée notamment par le Professeur Bouchart, montre des résultats encourageants. Cependant, il semble peu probable qu'un traitement unique soit efficace à long terme. D'où l'importance d'une approche dite "multimodale", impliquant l'utilisation de plusieurs médicaments ou traitements en synergie pour espérer des résultats durables. Un essai clinique multicentrique de phase II est actuellement en cours en Belgique, dont l’H.U.B. est le principal investigateur, évaluant l’impact de l’iHD-SBRT dans le traitement néoadjuvant du cancer du pancréas (NCT05083247). 

En ce qui concerne la chirurgie, elle reste malheureusement une option limitée pour les patients atteints de cancer du pancréas. Seuls environ 20 % des patients diagnostiqués sont éligibles à une intervention chirurgicale, et même parmi ceux-ci, les résultats à long terme restent mitigés. La survie à cinq ans pour les patients opérés se situe actuellement entre 20 et 30 % (tout stade confondu). En outre, le caractère très invasif du cancer pancréatique rend la chirurgie souvent insuffisante à elle seule, car la tumeur a tendance à se propager rapidement, même après une intervention réussie. La question du pronostic et de l’évolution du cancer du pancréas devient d'autant plus préoccupante à mesure que d'autres formes de cancer, comme celui du sein, du poumon ou de la prostate, deviennent plus traitables grâce aux progrès de la recherche et à des traitements de plus en plus efficaces. L'une des raisons pour lesquelles le cancer du pancréas est en passe de devenir l'une des principales causes de décès par cancer est justement que, pour les autres types de cancer, la recherche a réussi à ralentir la progression de la maladie, transformant parfois le cancer en une condition chronique plutôt qu'en une condamnation à court terme.

Mon propre travail de recherche porte sur les tumeurs non métastatiques du pancréas, en particulier celles situées à proximité des gros vaisseaux sanguins qui irriguent des organes comme le foie et les intestins. La proximité de ces vaisseaux par rapport à la tumeur rend ces cancers particulièrement agressifs et difficiles à traiter. Mon objectif est d'analyser ce contact entre la tumeur, les vaisseaux et la graisse avoisinante afin de mieux comprendre pourquoi ce cancer est si invasif. Grâce aux techniques d'imagerie moderne, nous sommes maintenant capables d'identifier plus précisément les tumeurs agressives et de mieux les caractériser.

En collaboration avec les Professeurs Maria Antonietta Bali et Jean-Luc Van Laethem nous avons récemment découvert un lien entre certaines caractéristiques observées sur les images radiologiques et le sous-type moléculaire de la tumeur, ce qui pourrait ouvrir la voie à des traitements plus ciblés, notamment par l'utilisation de la radiothérapie stéréotaxique pour ces cas spécifiques. Un travail récent sera prochainement publié et porte justement sur la morphologie radiologique du mésopancréas, une région contenant la graisse située entre le pancréas et les vaisseaux sanguins environnants. Notre étude explore l'impact de l’infiltration du mésopancréas sur les résultats oncologiques des patients atteints de cancer du pancréas. En ciblant ces caractéristiques spécifiques, nous espérons améliorer les résultats post-opératoires et surtout augmenter les chances de survie des patients. 

En matière de greffe, si l'idée de remplacer un organe malade par un organe sain peut sembler une solution évidente, la réalité est plus complexe. Pour le cancer du pancréas, la greffe n'est pas une option en raison du risque très élevé de récidive. En effet, pour éviter le rejet d'un organe transplanté, les patients doivent prendre des immunosuppresseurs, qui affaiblissent leur système immunitaire. Or, dans le cas d'un cancer aussi agressif, affaiblir le système immunitaire va accélérer la progression de la maladie en permettant à des cellules cancéreuses résiduelles de se multiplier. Ainsi, même si des transplantations sont envisageables pour certains cancers comme dans le foie, les cancers du pancréas ne permettent pas cette option thérapeutique. 

En résumé, le traitement du cancer du pancréas repose sur une approche pluridisciplinaire, combinant chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie, avec des efforts croissants pour mieux cibler les traitements en fonction des caractéristiques spécifiques de la tumeur. La recherche continue de progresser, notamment en identifiant des sous-types moléculaires des tumeurs et en adaptant les traitements en conséquence. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer les perspectives de survie à long terme, et chaque avancée, aussi modeste soit-elle, représente un pas en avant vers une meilleure prise en charge de cette maladie.