Publié le 17.04.2025

Fibrose pulmonaire : le rôle surprise d’une protéine du système immunitaire.

FOCUS ON

Entretien avec le Dr Philomène Lavis

Mon étude a commencé pendant la pandémie COVID-19. On s’est intéressé à une protéine chimioattractante appelée chémérine, connue pour son rôle dans la régulation de l’inflammation et ayant notamment un effet anti-inflammatoire dans un modèle de pneumonie virale sévère chez la souris. En étudiant chémérine dans le contexte du COVID-19, chez des patients avec une forme sévère de la maladie, on a remarqué qu’elle était exprimée par des cellules impliquées dans le développement de la fibrose et notamment de la fibrose pulmonaire.  

La fibrose pulmonaire correspond à une cicatrisation anormale des poumons. Normalement, les poumons sont souples, ils doivent pouvoir s’expandre et se contracter avec chaque respiration. Mais suite à la fibrose, le tissu pulmonaire devient rigide et les échanges gazeux se font moins bien.  L’ensemble rend la respiration de plus en plus difficile.

La fibrose pulmonaire peut survenir soit secondairement à une cause identifiée, comme secondairement aux formes graves du COVID-19,à des maladies auto-immunes ou la prise de certains médicaments, soit aucune cause claire n’est identifiée et on parlera de fibrose pulmonaire idiopathique.

C’est cette maladie sur laquelle je me suis concentrée pendant mon étude. La fibrose pulmonaire idiopathique est une maladie rare (environ 5 cas pour 100 000 habitants par an), mais grave et incurable. Elle progresse inexorablement, jusqu’à empêcher complètement les échanges gazeux. Même si aucune cause claire n’a été identifiée, il est admis qu’elle se développe chez certains patients avec une susceptibilité génétique et qui sont exposés à des facteurs de risque environnementaux, comme le tabac, qui favorisent le développement de la fibrose. 

Le diagnostic de fibrose pulmonaire idiopathique se fait toujours par une équipe médicale multidisciplinaire : anamnèse pour la mise en évidence de certains symptômes (toux sèche, dyspnée..) et pour exclure d’autres causes de fibrose pulmonaire, examen et auscultation pulmonaire, résultats des épreuves respiratoires et de l’imagerie (scanner thoracique en coupes fines) et parfois réalisation d’une biopsie pulmonaire si les images au scanner ne sont pas typiques.

 Actuellement, deux traitements médicamenteux existent pour la fibrose pulmonaire idiopathique. Ils ralentissent la progression de la maladie, mais ne permettent pas de la stopper. Le seul traitement curatif reste la transplantation pulmonaire, qui ne peut être envisagée que chez des patients jeunes et sans comorbidité. Ce n’est donc pas une solution pour tous.

À partir des observations faites chez les patients avec une forme grave de COVID-19, je me suis demandé si la chémérine pouvait aussi être impliquée dans le développement de la fibrose pulmonaire idiopathique. On a commencé par mesurer la concentration de chémérine dans le plasma et dans des lavages broncho-alvéolaires de patients atteints (il s’agit d’un prélèvement qui permet d’analyser les populations cellulaires et les protéines présentes au niveau des alvéoles pulmonaires). Résultat : la chémérine était augmentée dans ces deux prélèvements chez les patients avec une fibrose pulmonaire idiopathique par rapport aux sujets sains.

À ce stade, on savait que cette protéine était présente, mais il fallait comprendre comment elle intervenait. J’ai donc mené une série d’expériences sur des souris génétiquement modifiées, qui n’ont pas du tout de chémérine. Ces souris, lorsqu’on induisait chez elles une fibrose pulmonaire, développaient des lésions de fibrose significativement moins importantes que les souris normales. Elles perdaient également moins de poids, un marqueur indirect de sévérité chez l’animal. Cela montrait que l’absence de chémérine protège en partie de la fibrose.

On a poursuivi les recherches pour mieux comprendre ce mécanisme. Etant donné que la chémérine est un agent chimioattractant, ce qui veut dire qu’elle permet de recruter des populations de cellules immunitaires, nous avons étudié plus en détail les populations de cellules immunitaires dans les lavages bronchoalvéolaires de souris dans notre modèle de fibrose pulmonaire. Nos résultats suggèrent que la chémérine favorise le développement de fibrose pulmonaire en recrutant un sous-type particulier de macrophage. 

À la fin de ma thèse, j’ai également testé un antagoniste du récepteur de la chémérine, c’est-à-dire une molécule bloquant l’action de la chémérine sur son récepteur et donc notamment bloquant le recrutement de cette sous-population de macrophages. Les résultats préliminaires ont été prometteurs : les souris traitées présentaient une fibrogenèse significativement moindre. C’est encore expérimental, bien sûr, et il faudra beaucoup de temps avant de pouvoir tester ce type de molécule chez l’humain. Mais cela nous donne une cible potentielle. Nous souhaiterions dans la suite de ce projet combiner les traitements actuels avec des antagonistes du récepteur de la chémérine, pour pouvoir renforcer leur effet.  

Aujourd’hui, une doctorante a pris le relais pour continuer ce travail. Elle approfondit notamment les mécanismes d’action de la chémérine sur les cellules immunitaires et explore les applications thérapeutiques de cette piste encore jeune, mais prometteuse.