Evaluer l’enfant à 360° pour mieux l’accompagner
Focus on
Par le Pr Véronique Delvenne
Directrice du service de Pédopsychiatrie H.U.B
L’évaluation pédopsychiatrique est une démarche qui consiste à considérer l’enfant ou l’adolescent et son environnement dans toutes les dimensions, une approche que l’on pourrait qualifier à 360 degrés. Elle prend en compte son histoire personnelle et familiale, ses caractéristiques biologiques, son environnement, ses expériences de vie, ses relations, sa culture, mais aussi ses forces et ses fragilités. Cette vision globale, holistique, permet de comprendre l’enfant dans toute sa complexité, sans rien négliger.
Elle commence par les fondations : l’histoire familiale, les antécédents médicaux et psychologiques des parents et les éventuelles fragilités héritées. Un enfant se construit d’abord sur ce qu’il reçoit à la naissance, c’est-à-dire son patrimoine génétique. Mais cette base n’est pas immuable. L’épigénétique, c’est-à-dire l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes, joue un rôle majeur. Des vulnérabilités présentes dans le patrimoine génétique peuvent rester silencieuses ou, au contraire, se manifester selon les expériences vécues et le contexte dans lequel l’enfant grandit.
Ces facteurs environnementaux influencent déjà le développement bien avant la naissance. Pendant la grossesse, l’alimentation, la pollution, l’exposition à des perturbateurs endocriniens, certaines pathologies maternelles comme le diabète ou la prééclampsie, les infections ou encore le stress chronique peuvent marquer le fœtus. Le cortisol, l’hormone du stress, traverse le placenta lorsque la mère est soumise à un stress intense et prolongé. Il peut ainsi modifier le développement de structures cérébrales impliquées dans la régulation des émotions et des fonctions exécutives. Les mille premiers jours de vie, qui vont de la conception aux deux premières années, sont donc déterminants. C’est durant cette période que se construisent les circuits émotionnels et cognitifs e du cerveau.
Evaluer l’enfant à 360 degrés ne revient pas à lister des symptômes pour les faire entrer dans une catégorie. Cette démarche repose sur une histoire développementale complète, qui relie les éléments biologiques, environnementaux, médicaux, relationnels et contextuels. L’enfant est observé dans l’ensemble de ses acquisitions : langage, socialisation, motricité, apprentissages scolaires, mais aussi dans ses intérêts, ses talents, ses forces et ses fragilités mais aussi dans ses interactions avec ses proches.
Ce regard s’inscrit dans un modèle dimensionnel plutôt que catégoriel. Les classifications rigides comme le DSM, manuel diagnostique international, sont souvent insuffisantes pour rendre compte de la complexité des enfants. En réalité, les symptômes se chevauchent fréquemment et s’entrecroisent. C’est pourquoi la pédopsychiatrie contemporaine tend à considérer les troubles sur un continuum, en tenant compte des particularités de chaque enfant plutôt que de les enfermer dans des catégories figées.
Cette exploration inclut également les événements de vie problématiques : traumatismes, négligence, maltraitance, accidents ou adversités diverses. Les études longitudinales montrent que l’accumulation de ces expériences adverses peut avoir un impact profond et durable, tant sur la santé mentale que sur la santé physique. On sait, par exemple, que les enfants exposés à plusieurs traumatismes précoces peuvent perdre de nombreuses années d’espérance de vie s’ils n’ont pas bénéficié de soins ou de facteurs de résilience.
La pédopsychiatrie évolue aujourd’hui vers un modèle où l’on ne parle plus d’« enfants handicapés » mais d’enfants différents, porteurs de besoins spécifiques. C’est ce que l’on nomme le mouvement de la neurodiversité, qui invite à considérer les troubles – TDAH, TSA, troubles « dys » – non plus uniquement comme des déficits mais comme des différences. Même dans l’autisme, les profils sont variés. Certains enfants présentent des anomalies génétiques associées à un déficit intellectuel, tandis que d’autres, souvent qualifiés d’« Asperger », développent des compétences remarquables dans certains domaines. L’objectif n’est plus de corriger des déficits mais de trouver des aménagements et des accompagnements adaptés, qui permettent à chaque enfant de s’épanouir selon ses propres capacités.
Cette approche globale ne se limite pas à la biologie. Elle intègre aussi l’environnement relationnel – la famille, la fratrie, l’école, les amis – ainsi que la culture, la religion et le pays dans lequel l’enfant grandit. Un autiste au Vietnam, au Sénégal ou en Belgique présente les mêmes caractéristiques cliniques. Ce qui change, c’est la manière dont il est compris et accompagné. Cette réalité appelle à une ouverture culturelle et à une neutralité dans le regard porté sur l’enfant.
Former les jeunes psychiatres à cette approche est essentiel. Lire un dossier avant de rencontrer un enfant risque de l’enfermer trop vite dans une pathologie. Au contraire, il faut prendre le temps d’écouter, d’observer, de reconstituer l’histoire de l’enfant dans sa famille avant de poser un diagnostic.
Mon rêve, aujourd’hui, serait de voir la psychiatrie se transformer pleinement dans cette direction. Sortir des anciens schémas figés, abandonner les classifications trop rigides, faire évoluer les pratiques vers une approche véritablement dimensionnelle et développementale. C’est ce mouvement qui donnera à la pédopsychiatrie, mais aussi à la psychiatrie adulte, les moyens d’offrir aux enfants et aux adolescents une compréhension plus juste, et donc des soins plus humains.