ENIGMA : comprendre le microbiote pour mieux traiter les maladies inflammatoires
Focus On
Entretien avec le Professeur Claire Liefferinckx
Depuis plusieurs années, mes recherches sont soutenues par le Fonds Erasme, ce qui me permet d’explorer des questions fondamentales sur le fonctionnement du système immunitaire et ses interactions avec le microbiote intestinal. Mon projet actuel, ENIGMA, s’inscrit dans la continuité de mes travaux précédents (GEOCODE et GEOBIOTA) et vise à mieux comprendre l’équilibre entre ces deux acteurs clés de la santé humaine.
Pourquoi étudier le microbiote chez des individus sains ?
L’idée fondatrice de ENIGMA est simple : avant d’identifier les dérèglements du microbiote et leur implication dans certaines pathologies, il est essentiel de comprendre son fonctionnement normal. C’est une approche logique en médecine : avant d’étudier une maladie, il faut maîtriser les mécanismes qui assurent la bonne santé.
Cette démarche fait écho à l’un de mes précédents projets, Géocode, qui s’intéressait aux marqueurs génétiques associés au système immunitaire sain.
En identifiant ces marqueurs, nous avons pu mieux cerner les variations normales de l’immunité, découvrir certains marqueurs génétiques sous-tendant ces variations et suggérer l’implication de nouveaux gènes dans les pathologies immunitaires, notamment la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. ENIGMA pousse cette logique plus loin en explorant cette fois les interactions entre le microbiote intestinal et le système immunitaire.
Les maladies inflammatoires du tube digestif : des pathologies à médiation immune
La maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique font partie des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Bien qu’elles ne soient pas des maladies auto-immunes à proprement parler – car elles ne produisent pas d’anticorps dirigés contre un organe spécifique –, elles relèvent néanmoins d’un dysfonctionnement immunitaire. Dans ces pathologies, le système immunitaire s’attaque aux cellules du tube digestif de manière excessive, chronique et incontrôlée.
On soupçonne depuis longtemps un lien entre ces maladies et le microbiote intestinal ; et cette intuition est de plus en plus confirmée par la recherche. Le microbiote joue un rôle clé dans l’éducation du système immunitaire, notamment dans les premières années de la vie.
S’il est altéré, il peut contribuer à des déséquilibres immunitaires qui, à terme, favorisent le développement de maladies chroniques inflammatoires.
Des implications au-delà des maladies intestinales
L’intérêt croissant pour le microbiote ne se limite pas aux maladies digestives. De nombreuses études suggèrent que ses interactions avec l’immunité pourraient jouer un rôle dans d’autres maladies à médiation immune, comme la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques ou encore le lupus. Comprendre comment le microbiote influence l’immunité pourrait donc ouvrir des pistes thérapeutiques bien au-delà des MICI.
Quelles applications pour les patients ?
L’objectif final de ces recherches est de mieux caractériser le dialogue entre le microbiote et l’immunité pour identifier de nouveaux biomarqueurs et possiblement, de nouvelles cibles thérapeutiques. À terme, cela pourrait permettre :
- Une meilleure prévention en identifiant des déséquilibres du microbiote avant l’apparition des symptômes cliniques.
- Une médecine plus personnalisée, avec des traitements ciblant spécifiquement les altérations du microbiote impliquées dans chaque pathologie.
- L’optimisation des traitements existants, en combinant certains médicaments avec des interventions sur le microbiote, par exemple via la nutrition ou la transplantation de microbiote fécal.
Bien sûr, ces applications ne seront possibles qu’à moyen-long terme, mais elles sont porteuses d’espoir.
Aujourd’hui, les traitements des MICI restent souvent empiriques : nous testons différentes approches, et lorsqu’un traitement fonctionne, nous le poursuivons. Ces dernières années, nous avons vu apparaître de nouvelles molécules, offrant davantage de solutions aux patients mais une compréhension plus fine des mécanismes sous-jacents permettrait de sortir de cette approche par essais et erreurs et d’aller vers des traitements réellement rationnels et ciblés.
En somme, ENIGMA est une étape essentielle pour mieux comprendre l’interaction entre le microbiote et le système immunitaire, avec des implications qui dépassent largement les MICI. L’avenir de la recherche sur ces sujets est prometteur et nous espérons que nos travaux contribueront à transformer la prise en charge des maladies immunitaires dans les années à venir.