Comprendre la flore intestinale pour prévenir les rechutes des maladies inflammatoires chroniques
Focus on
Entretien avec le Dr Clémence Vuckovic
Notre recherche se concentre sur le comportement du microbiote intestinal et salivaire chez des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), lorsque leur maladie est en rémission. Les deux principales formes de MICI sont la maladie de Crohn et la rectocolite ulcéro-hémorragique, qui touchent principalement de jeunes adultes et peuvent avoir un impact profond sur leur quotidien.
L’objectif de notre étude est d’observer, sur une année, si le microbiote des patients dont la maladie est contrôlée se comporte comme celui d’une personne en bonne santé. En d’autres termes, nous cherchons à savoir si ce microbiote présente les mêmes caractéristiques de stabilité et de robustesse, lorsque la maladie est en rémission. Nous voulons également explorer une question essentielle : le microbiote peut-il nous alerter sur une rechute imminente ? Environ 10 à 15 % des patients en rémission rechutent chaque année, et notre objectif est de détecter d’éventuels signaux avant-coureurs, qu’ils soient présents dans l’intestin ou dans la salive. À terme, notre « rêve » serait de développer un test simple et non invasif, basé sur la salive, pour prédire la rechute de la maladie. Ce type d’outil serait plus pratique pour les patients que l’analyse des selles, et permettrait potentiellement d’adapter les traitements rapidement, afin de prévenir la rechute de la maladie et les complications.
Notre recherche se fait en deux phases. Dans la première phase, nous nous concentrons sur la description et la stabilité des microbiotes intestinal et salivaire chez des patients en rémission profonde. Cette analyse ne se limite pas aux bactéries ; nous étudions également les champignons qui composent ces microbiotes. Cette première phase se fait en miroir d’une autre étude financée par le Fonds Erasme, menée par le Pr Claire Liefferinckx, qui étudie ces mêmes paramètres les individus sains. La deuxième phase portera sur l’identification de marqueurs capables de prédire une rechute, en analysant les potentiels changements du microbiote avant l’apparition des symptômes. Nous nous intéressons également à l’axe oral-intestinal, c’est-à-dire à la potentielle communication entre le microbiote de la bouche et celui de l’intestin. Par exemple, certaines bactéries buccales peuvent migrer et s’implanter dans un intestin malade. Cette approche pourrait ouvrir la voie à des outils de diagnostic moins invasifs mais tout aussi efficaces.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’existe pas de « signature » universelle d’un microbiote sain. En général, un microbiote diversifié est signe de bonne santé, mais de nombreux facteurs, comme
l’alimentation ou les traitements, influencent sa composition. Bien que les analyses du microbiote soient de plus en plus populaires, elles ne font pas encore partie du suivi standard des patients, car nous ne comprenons pas encore pleinement leur utilité clinique. Nous rencontrons parfois en consultation des patients inquiets après avoir comparé leurs résultats d’analyse de microbiote intestinal (réalisées en dehors de leur suivi médical) à des informations trouvées en ligne mais il est impossible aujourd’hui d’associer une bactérie précise à une maladie.
Nous avons choisi d’étudier une population très précise : des patients en rémission profonde, avec des critères de sélection stricts. Cela réduit les facteurs confondants et nous permet d’obtenir des données plus fiables, dans des conditions homogènes. Pour l’instant, nous sommes encore dans la phase de recrutement. Le suivi des patients se fait sur une année. En plus des consultations de suivi et des analyses biologiques réalisées dans le cadre de l’étude, nous utilisons des questionnaires pour évaluer la qualité de vie des patients : leur niveau de fatigue, leur anxiété, et même l’impact sur leur vie sociale. Nous voulons comprendre comment la maladie, même en rémission, continue d’influencer leur quotidien.
En Belgique, plus de 32 000 personnes vivent avec une MICI, dont une grande proportion de jeunes adultes. Ces maladies chroniques impactent non seulement la santé physique, mais aussi la vie professionnelle, sociale et intime des patients. Il est donc crucial de les aborder dans toute leur complexité, en tenant compte à la fois des dimensions biologiques, comme le microbiote, et des aspects humains, comme la qualité de vie.
En résumé, notre travail vise à mieux comprendre le rôle du microbiote dans les MICI, mais aussi à développer des outils pratiques pouvant potentiellement améliorer la qualité de vie des patients via la prévention de la rechute de la maladie. Bien qu’il ne puisse pas répondre à toutes les questions, il pourrait ouvrir la voie à de nouvelles pistes de recherche et découvertes. Nos résultats permettront d’approfondir nos connaissances et de poser les bases pour de futurs projets.