Comprendre et combattre les ravages invisibles sur le cerveau
Sclérose en plaques
Entretien avec le Dr Sophie Elands
L'objectif principal de mon projet de recherche financé par la Bourse Kleo, est de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents des troubles cognitifs chez les patients atteints de sclérose en plaques (SEP). La SEP est une maladie inflammatoire chronique qui touche le système nerveux central (le cerveau et la moëlle épinière) où le système immunitaire s’emballe et attaque la myéline, la gaine protectrice des fibres nerveuses que l’on appelle aussi « axones ». Cette perte de myéline perturbe la transmission des signaux nerveux dans le cerveau. Cependant, ce phénomène va au-delà des simples « plaques » inflammatoires visibles à la résonance magnétique : les déconnexions entre les différentes régions cérébrales dues à ces lésions ont un impact considérable sur le fonctionnement global du cerveau. Cela entraîne des symptômes souvent moins visibles mais qui peuvent être handicapants, tels que les troubles cognitifs qui touchent 40-70% des patients. Cette atteinte consiste notamment en des problèmes de mémoire, de la concentration, ainsi que des difficultés à gérer des tâches multiples en même temps, comme répondre à un mail tout en prenant un appel téléphonique, ce qui peut représenter un défi pour de nombreux patients.
Le diagnostic de SEP est souvent posé à un jeune âge, dans la vingtaine ou la trentaine, lorsque les patients sont en plein essor professionnel et ont des responsabilités familiales et personnelles. Ces difficultés cognitives peuvent donc affecter profondément leur qualité de vie quotidienne. L'objectif de mon projet est de mieux comprendre comment ces troubles cognitifs se développent et comment ils sont liés aux lésions dans les régions spécifiques du cerveau, telle que le thalamus – un noyau central pour la cognition. Pour ce faire, nous utilisons des techniques d'IRM avancées, qui permettent de visualiser non seulement les lésions visibles mais aussi les altérations subtiles du tissu cérébral. Cela nous aide à mieux comprendre quelles structures sont endommagées et à quel point ces lésions perturbent la communication entre les différentes régions cérébrales.
La sclérose en plaques est une maladie complexe, et bien que les traitements de fond actuels, notamment les immunomodulateurs et immunosuppresseurs, permettent de réduire le risque de nouvelles lésions et ralentir l’évolution de la maladie, les troubles cognitifs restent un domaine où il y a encore beaucoup à découvrir. Actuellement, il n'existe pas de traitements spécifiques pour ces troubles cognitifs. Cependant, la plasticité cérébrale, c'est-à-dire la capacité du cerveau à se réorganiser et à compenser certains dysfonctionnements, est un phénomène bien connu. En comprenant mieux comment ces réseaux neuronaux sont altérés, nous pourrions, à terme, identifier des meilleures stratégies de dépistage et de rééducation cognitive adaptées qui aideraient les patients à mieux gérer et compenser les effets de ces troubles. Cela inclut l’introduction précoce d’exercices ou de techniques visant à améliorer la gestion de la mémoire et de la concentration dans leur quotidien.
En parallèle, une partie de mon étude se concentre également sur l’impact de la fatigue et des troubles du sommeil, qui sont souvent interconnectés avec les problèmes cognitifs. La fatigue peut en effet aggraver les difficultés de concentration et de mémoire, et il est essentiel de prendre en compte ces facteurs dans l’évaluation des troubles cognitifs. De même, des troubles du sommeil, fréquents chez ces patients, peuvent exacerber la fatigue cognitive et compliquer encore davantage le traitement des troubles cognitifs. Ainsi, comprendre et traiter ces facteurs connexes est une priorité dans notre approche globale.
Le but ultime de cette recherche est d’apporter une meilleure compréhension de l’impact des lésions cérébrales sur la cognition chez les patients atteints de sclérose en plaques, et de fournir des outils pour intervenir plus tôt et de manière plus ciblée. Par exemple, en identifiant les zones cérébrales et les réseaux neuronaux impliqués, nous pourrions mieux cibler des interventions thérapeutiques qui, à long terme, amélioreraient la qualité de vie des patients. Les exercices de rééducation cognitive pourraient être adaptés en fonction des spécificités de chaque patient, en tenant compte de la structure cérébrale et des réseaux neuronaux affectés.
En résumé, cette étude pourrait apporter des éclairages précieux sur les mécanismes sous-jacents des troubles cognitifs dans la SEP et ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. À terme, une meilleure compréhension des processus cérébraux impliqués pourrait permettre d'améliorer les stratégies de dépistage et de thérapies disponibles et d’offrir aux patients des solutions pour mieux vivre avec cette maladie, au-delà des traitements actuellement disponibles.