Ce que la génétique peut nous apprendre sur l’épilepsie
Focus on
Par le Dr Sarah Duerinckx
Depuis mes premières années d’études en médecine, j’ai toujours été fascinée par le neurodéveloppement. Cette fascination a guidé mes choix de recherche, d’abord à travers mon mémoire de fin d’études sur les mécanismes de la neurogenèse du cortex cérébral, puis avec ma thèse de doctorat consacrée à la génétique de la microcéphalie primaire. Cette pathologie rare, marquée par une taille anormalement réduite du cerveau, m’a permis d’explorer en profondeur l’hérédité monogénique — lorsqu’un seul gène est responsable — mais aussi l’hérédité digénique, plus complexe, où deux gènes interagissent pour provoquer la maladie.
Épilepsie : une énigme aux multiples facettes
De manière assez naturelle, j’ai ensuite orienté mes recherches vers un domaine très proche : la génétique de l’épilepsie. C’est une affection extrêmement hétérogène, qui regroupe une grande diversité de formes cliniques, allant de syndromes bénins à des formes sévères, précoces et résistantes. On sait aujourd’hui que les facteurs génétiques jouent un rôle central, mais malgré des outils de séquençage de plus en plus performants, beaucoup de patients restent sans diagnostic génétique.
Certaines de ces épilepsies sont probablement dues à des mutations monogéniques encore non identifiées, mais d’autres pourraient être le résultat de combinaisons de mutations dans plusieurs gènes, dans un schéma digénique ou oligogénique. C’est cette hypothèse que j’explore activement dans mon projet actuel.
Un projet en deux volets : enfants et adultes
Mon travail se divise en deux grandes parties.
Côté pédiatrique : des formes sévères et une quête de précision
Les enfants inclus dans mon étude présentent des épilepsies très sévères, avec un début précoce et souvent une déficience intellectuelle associée. Tous ont déjà passé les tests génétiques de routine, sans qu’un diagnostic ait pu être posé. C’est là que les nouvelles techniques entrent en jeu : séquençage du génome entier, transcriptome, méthylome, long reads.
J’ai commencé par réanalyser leurs exomes (l’ensemble des gènes codants), car les connaissances et les techniques évoluent très vite. Déjà à ce stade, j’ai pu poser plusieurs diagnostics, dont un impliquant un nouveau gène pathogène. Grâce à une collaboration avec une équipe anglaise, nous avons identifié d’autres patients similaires, renforçant l’idée que ce gène est bien impliqué. Cette découverte devrait bientôt faire l’objet d’une publication.
Côté adulte : une vaste cohorte et des collaborations internationales
L’autre volet concerne une cohorte d’environ 450 patients adultes atteints d’épilepsie recrutés par le Dr Chantal Depondt, séquencés dans le cadre du consortium EPI25. Ces données de séquençage n’avaient pas été pleinement analysées à l’époque. J’ai repris ce travail, d’abord par une analyse monogénique de l’ensemble de la cohorte, puis en collaboration avec le projet européen SolveRD pour une analyse plus approfondie sur un sous-groupe de patients aux phénotypes plus sévères.
Cette double approche m’a permis de poser une quinzaine de diagnostics génétiques, parfois sur des gènes récemment associés à l’épilepsie, ou des anomalies passées inaperçus dans les analyses antérieures. Ces résultats alimentent aujourd’hui une publication collective au sein du réseau ERN Epicare, dédié aux formes rares et complexes d’épilepsie.
Explorer l’hérédité digénique : une nouvelle frontière
Mais au-delà des diagnostics monogéniques, une question persiste : et les autres ? Que faire de tous ces patients pour lesquels aucun gène unique ne semble suffisant pour expliquer la maladie ?
C’est ici qu’intervient l’analyse digénique ou oligogénique, à laquelle je me consacre en collaboration avec l’équipe bio-informatique de Tom Lenaerts (ULB, Institut IB Square). Leur outil prédictif explore les paires de gènes pouvant, ensemble, entraîner une maladie. On y entre les données génétiques complètes d’un patient, et l’algorithme classe les combinaisons de gènes selon leur probabilité pathogène.
J’ai utilisé deux approches : une analyse par cohorte, en comparant les patients et des individus contrôles et une analyse individuelle, sur des patients sans diagnostic monogénique, en examinant leur génome à la recherche de paires de gènes biologiquement plausibles.
C’est une tâche complexe, car il faut filtrer les artefacts techniques, prouver que les protéines interagissent ou qu’il existe une transmission familiale cohérente. Le modèle est encore en construction, et doit être amélioré, mais des publications antérieures ont déjà suggéré l’existence d’une hérédité oligogénique dans l’épilepsie : on observe par exemple une accumulation significative de variants dans des gènes associés à l’épilepsie chez les patients par rapport aux contrôles.
Pourquoi un diagnostic génétique est-il si important ?
Le bénéfice pour les patients est multiple :
- Comprendre l’origine de la maladie.
- Pouvoir offrir un conseil génétique à la famille.
- Et parfois même, adapter le traitement : certains gènes contre-indiquent certains antiépileptiques, ou au contraire, orientent vers une thérapie ciblée.
À terme, c’est la médecine personnalisée qui se dessine. Ce champ est encore jeune, mais en pleine expansion.
Dans l’avenir, faire parler les gènes permettra de mieux soigner
L’épilepsie reste un défi médical, mais les progrès de la génétique permettent peu à peu de percer son mystère. En combinant technologies de pointe, analyses innovantes et collaborations internationales, nous avançons vers une médecine plus juste, plus précise, et plus humaine.
Et si, parfois, un seul gène peut changer une vie, je suis convaincue que c’est en les écoutant ensemble que nous trouverons les clés de nombreuses énigmes encore non résolues.