Arrêt cardiaque : et si le vrai combat commençait après la réanimation ?
Focus on
Entretien avec le Dr Filippo Annoni
Lorsqu’une personne est victime d’un arrêt cardiaque, les gestes de réanimation bien conduits permettent parfois de faire repartir le cœur. Pourtant, même après une réanimation réussie, une grande proportion de patients décèdent dans les deux semaines suivantes, en raison de lésions cérébrales ou cardiaques survenues pendant l'arrêt.
À ce jour, il n’existe aucun traitement pour réduire ces dommages une fois le patient arrivé à l’hôpital : on se limite à des soins de support. C’est ce vide thérapeutique, dans une situation fréquente et dramatique, qui a motivé notre recherche.
Nous avons développé un modèle expérimental permettant de tester des solutions énergétiques alternatives, capables de protéger le cerveau et le cœur. Deux composés ont retenu notre attention : les corps cétoniques et le lactate hypertonique. Tous deux ont montré des résultats prometteurs chez l’animal, avec une réduction significative des lésions cérébrales. Pour le lactate en plus de la réduction des lésions cérébrales, on a observé une réduction des lésions cardiaques. C’est donc le lactate qui a été retenu pour un passage à l’étude clinique chez l’humain d’autant il est déjà utilisé dans d’autres contextes médicaux à faibles doses, ce qui facilite sa formulation et sa mise à disposition.
L’étude que nous menons actuellement est une étude clinique de phase 2. Elle vise à évaluer l’efficacité et la sécurité d’une perfusion continue de 24 heures de lactate hypertonique, administrée à des patients tout juste réanimés. Les participants sont répartis au hasard en deux groupes : l’un reçoit les soins habituels, l’autre reçoit en plus cette perfusion. L’objectif est de mesurer un biomarqueur spécifique des lésions cérébrales précoces, qui indique la quantité de neurones détruits dans les premières heures. Si ce marqueur est significativement plus bas chez les patients traités, cela indiquera un effet protecteur du lactate sur le cerveau.
Nous avons déjà inclus dix patients sur le site de l’H.U.B-Erasme et nous prévoyons d’élargir à d’autres centres belges pour atteindre 125 inclusions de patients. Ce chiffre permettra de valider ou non l’intérêt thérapeutique de cette approche et de poser les bases d’une future étude de phase 3, plus large, visant à démontrer un réel bénéfice clinique. C’est une étape cruciale, car aucune des nombreuses stratégies testées jusqu’ici n’a permis de franchir ce cap.
Le but ultime de cette étude n’est pas seulement d’augmenter les chances de survie après un arrêt cardiaque, mais aussi d’améliorer la qualité de vie de ceux qui survivent. Aujourd’hui, seuls 1 % des survivants retrouvent leur niveau de vie antérieur ; 99 % vivent avec des séquelles. Réduire les lésions cérébrales et cardiaques, c’est permettre à ces patients non seulement de vivre, mais de vivre mieux.
Les premiers résultats sont encourageants. Nous espérons pouvoir, avec rigueur et patience, transformer cette promesse en réalité thérapeutique.